Surenchère sécuritaire, comme lors de la présidentielle en 2002....
Castration chimique, double peine, biométrie, rétroactivité des lois, indépendance des juges... Alors que l'Assemblée discute cette semaine encore de la récidive et du bracelet électronique, on ne compte plus, à dix-huit mois de la présidentielle, les tentatives de la droite d'accroître encore l'arsenal sécuritaire. S'abritant derrière la lutte contre le terrorisme et l'émotion légitime provoquée par des faits divers dramatiques, certains, à commencer par Nicolas Sarkozy, n'hésitent pas à jouer aux apprentis sorciers avec la démocratie en lançant des projets peu soucieux des libertés publiques
«Le juge doit payer!» La formule est digne d'un cow-boy, elle claque comme un coup de fouet. On la doit à Nicolas Sarkozy. Quelques jours après avoir annoncé son intention de nettoyer «au Kärcher» la cité des 4 000 à La Courneuve, le ministre de l'Intérieur récidive. Nous sommes en juin 2005, et l'opinion est horrifiée par l'assassinat dans la région parisienne de la joggeuse Nelly Crémel. L'auteur présumé, Patrick Gateau, 48 ans, condamné à perpétuité, avait bénéficié d'une libération conditionnelle en 2003. Si on peut légitimement s'interroger sur la responsabilité des magistrats, Nicolas Sarkozy a fait d'une pierre deux coups : porter atteinte à l'indépendance des juges en caricaturant la situation. Ce sont trois magistrats, et non un seul, qui ont décidé de libérer un détenu qui remplissait les conditions. «La loi, toute la loi, a été respectée», a jugé bon de corriger son collègue de la Justice, Pascal Clément. En revanche, nos ministres ne se sont pas insurgés du manque de moyens des juges d'application des peines ni du manque de travailleurs sociaux, conseillers de probation et autres personnels de santé susceptibles de faire baisser la récidive criminelle.
Un bras d'honneur au Conseil constitutionnel
Fin septembre, Pascal Clément, qui rêvait d'occuper le poste de garde des Sceaux depuis toujours, est entré dans l'Histoire en devenant le premier ministre à appeler l'opposition, malgré la possible inconstitutionnalité d'un projet qu'il concoctait, à ne pas saisir... le Conseil constitutionnel, pourtant gardien du temple en matière de lois. Pas tendre, Pierre Mazeaud, président du Conseil constitutionnel, a rappelé au ministre de la Justice, comme on fait la morale à un petit garçon, que le respect de la Constitution n'est «pas un risque mais un devoir». Après un nouveau fait divers et en pleine surenchère sécuritaire, Pascal Clément proposait la rétroactivité d'une peine pour des individus condamnés avant l'adoption d'une loi, en l'occurrence celle visant à placer sous surveillance électronique mobile des délinquants sexuels récidivistes. Une pierre deux coups là encore, puisqu'il s'agissait aussi d'infliger une double peine à des condamnés. Face au tollé, y compris dans les rangs de sa majorité, le ministre a revu sa copie (pas encore), qu'il devait soumettre cette semaine à l'Assemblée.
Une claque pour le droit du sol
Le 17 septembre dernier, François Baroin, le ministre de l'Outre-Mer, met le feu aux poudres en envisageant la remise en question du droit du sol «dans certaines collectivités d'outre-mer». Jean-Marie Le Pen se réjouit et revendique la paternité de la proposition. Les associations «droits-de-l'hommiste» s'émeuvent. Les juristes sont circonspects : une loi est valable pour tout le territoire de la République et, le ministre ne peut l'ignorer, le droit du sol intégral n'est pas en vigueur en France. Quelques semaines plus tard, on apprend que le cabinet de Nicolas Sarkozy a été prié par le ministre de se mettre au travail sur la question migratoire. Objectif : pondre une loi pour 2006. La dernière date de 2003. Elle était signée... Nicolas Sarkozy.
Un mépris pour l'individualisation de la peine
Si le sujet n'était pas aussi important, on dirait que c'est la tarte à la crème en matière de politique pénale. Même si cette mesure a très peu de chances de voir le jour, l'idée d'instaurer des peines automatiques, soufflée par Nicolas Sarkozy et relayée par son entourage, revient régulièrement sur le devant de la scène politique. Aussi absurdes que la proposition de l'ex-garde des Sceaux Dominique Perben consistant à confisquer et à vendre les biens de personnes non encore condamnées (donc toujours présumées innocentes), les peines automatiques et les peines planchers permettent d'infliger à un récidiviste une peine d'emprisonnement d'une durée déterminée à la suite d'un nouveau crime ou délit, et au mépris de l'individualisation de la sanction. L'emblème de cette mesure est le « 3-Strikes » (3 coups) californien, une loi qui permet d'envoyer automatiquement en prison un récidiviste même pour un délit mineur.
Un chantage à la nationalité
Lors de la présentation télévisée de son projet de loi antiterroriste, le 26 septembre, M. Sarkozy a regretté que la déchéance de la nationalité française soit trop peu appliquée et annoncé le grand retour de cette mesure : «Des naturalisés qui ont trempé dans des attentats doivent être déchus de leur nationalité française et expulsés.» L'article 25 du Code civil prévoit déjà qu'un individu ayant acquis la nationalité française puisse en être déchu (sauf si cette déchéance le rendait apatride), notamment s'il est condamné pour acte de terrorisme, dans les dix ans qui suivent sa naturalisation. Le projet Sarkozy porterait ce délai à quinze ans. La déchéance de nationalité est de sinistre mémoire en France depuis que le gouvernement de Vichy avait retiré à 15 000 personnes, juives en majorité, la nationalité française. De Gaulle, Leclerc, Mendès France et de nombreux résistants furent aussi concernés par cette mesure.
Une manipulation de la "menace terroriste"
«A la minute où je vous parle, des arrestations ont lieu. Ce sont des arrestations préventives. Ce sont des individus à qui nous avons des questions très précises à poser.» Diffusée le 26 septembre dans l'émission « Pièces à conviction » sur France 3, cette petite phrase du ministre de l'Intérieur tombait à pic. Le matin même, les hommes du Raid venaient en effet de mener de main de maître un coup de filet anti-islamiste à Trappes (Yvelines) et à Evreux (Eure). Une arrestation spectaculaire réalisée devant une dizaine de caméras de télévision. Et pour cause : la presse entière était au courant de l'opération depuis cinq jours. Depuis le 21 septembre, le jour où le ministre avait prononcé cette phrase sur le plateau d'enregistrement de l'émission de télévision consacrée à la menace islamiste et au projet de loi antiterroriste de Sarkozy ! Voilà donc un ministre de l'Intérieur qui, pour frapper l'opinion, programme des arrestations hautement médiatisées en fonction de ses passages télé, sans se préoccuper du risque de compromettre la confidentialité de l'opération.
Ce n'est pas tout...
Même si son efficacité est discutée, la castration chimique a été récemment servie à l'opinion publique. Recette miracle ou placebo ? Elle consiste à annihiler les pulsions des délinquants sexuels par une prise obligatoire de médicaments inhibiteurs. Avant même de savoir grâce à une étude approfondie ou une grande consultation si les résultats sont concluants, le ministre de l'Intérieur a martelé sa volonté de punir, toujours bon à rappeler à dix-huit mois d'une élection présidentielle. En matière de surveillance, on peut aussi s'inquiéter de certains fichiers qui, malgré la nécessaire lutte contre le terrorisme, sont créés dans un flou qui inquiète notamment la Cnil. L'absence de vrai débat sur la vidéosurveillance ou la biométrie (utilisation des empreintes biologiques) laisse planer une inquiétude sur l'usage des données. Enfin, on ne peut que déplorer le recours massif à des termes juridiquement vagues comme «criminels dangereux», «pervers irrécupérables» ou «individus les plus dangereux» dont les définitions précises restent à trouver.