01 décembre 2005

Avoir 15 ans à Clichy-sous-Bois

NouvelObs Semaine du jeudi 17 novembre 2005 - n°2141 - Dossier

Avoir 15 ans à Clichy-sous-Bois

Grandir entre Clichy-sous-Bois et Montfermeil, c'est partager son quotidien entre l'école, le centre social, le « business » et les bêtises sur le parking. C'est aussi s'inventer une vie pour échapper au chômage des parents et à la misère du quartier. Les ados des cités ont hérité des colères et des déceptions de leurs aînés. Portrait d'une génération exaspérée

Aujourd'hui, Ibrahim et ses copains ont trouvé un chat sur un arbre, derrière le centre social. Ils ont foncé à la cabine téléphonique, appelé les pompiers pour qu'ils viennent sauver l'animal. Celui-là a eu de la chance. Il y a quelques années, dans le collège voisin, les profs avaient dû s'interposer durant un match de foot plutôt bizarre : au fond de la cour, les élèves surexcités se faisaient des passes avec pour balle... un chaton.
Ibrahim est en T-shirt dehors au mois de novembre, mais il n'a pas froid parce qu'il s'agite beaucoup. Il dit qu'il n'est pas triste de sa vie ici, dans le quartier du Grand Ensemble qui réunit les Hauts de Clichy-sous-Bois et les Bosquets de Montfermeil. Il est comme tous les enfants, il joue, il gribouille. Sauf que lui, dans le petit carnet sorti de la poche de son survêtement vert, c'est pas Spiderman qu'il a dessiné au stylo bille. Mais des CRS tout équipés. Ibrahim les appelle les « poulets ». Il dit qu'il sait les reconnaître : « Ils ont des yeux pas pareils que les autres, ils nous regardent, on dirait qu'ils veulent nous défoncer. »
Ibrahim a 12 ans, c'est un enfant de la cité. Avec une vie à rallonge, déjà : deux ans en foyer, un an en famille d'accueil. Maintenant, il habite dans le F3 de ses parents, avec ses soeurs. Au bâtiment 5, la grande barre blanche qu'il montre du doigt, là, juste derrière le centre social. Ses frères, eux, vivent en Afrique : « C'est ma mère qui les a renvoyés là-bas, je ne sais pas pourquoi. Mais il y en avait un qui faisait du commerce en région parisienne. » Ibrahim, lui, veut rester en France, parce qu'il est « français, pas guinéen ». Mais il s'inquiète : « Pourquoi Sarkozy il crée des problèmes, juste pour virer les Arabes et les Noirs ? » Il dit qu'il a jeté des cailloux, comme les autres, sur les policiers après « l'histoire de la mosquée ». Et même : « J'en connais, ils ont 9 ans, et ils disent qu'ils vont peut-être mettre de la dynamite dans le bâtiment des services publics. »
Ibrahim va au collège Georges-Brassens, où il redouble sa sixième. Et après l'école, le soir, il reste dehors avec ses copains. Il s'amuse. A ramasserles balles de flash-ball par terre,les « gum-gum », pour en faire collection. Ou alors il fait « des tours dans la cité », mais il n'a pas le droit de dépasser le Centre Leclerc. Parce qu'au-delà il y a un autre quartier, « où ils s'entendent pas avec nous ». Alors il traîne, regarde les « plus grands qui font des joints avec des petits morceaux de shit marron, ils brûlent le truc et roulent dans des feuilles ». Le reste du temps, il aime bien venir au centre social. Parce qu'on y propose des activités. La patinoire, ça lui plaît. La bibliothèque de rue aussi, où il a découvert « Kirikou qui est petit mais peut beaucoup », l'histoire d'un petit Africain et d'une méchante sorcière fâchée avec l'humanité. Et puis, le vendredi soir, Ibrahim fait du hip-hop : « C'est pas cher, 5 euros pour toute l'année. » Et comme il a entre 1 et 10 euros d'argent de poche par mois, ça le fait. De temps en temps, les animateurs l'emmènent en forêt de Bondy, où « on mange des sandwichs ». Sinon, il reste pas mal à la maison. Avec sa soeur, il fait des parties de Game Cube ou regarde les dessins animés à la télé. Ibrahim parle peu avec sa mère. « Elle est petite dans sa tête, elle regarde Disney Channel. » Et elle a peur de tout ce qui se passe dehors. Ibrahim l'entend dire qu'il faut quitter Montfermeil : « Elle veut qu'on aille à Bondy-Sud, elle dit que c'est bien là-bas, juste à côté du Conforama. » Lui, il pense qu'il faudrait plutôt écrire au maire pour qu'il répare tout ce qui est cassé : « Il y a une porte qui ne marche plus depuis longtemps dans le bâtiment, par exemple. » Et pour tous ces problèmes il a une idée : « Pourquoi ils refont pas la cité, comme ça ils mettent des pavillons ? Parce que, s'ils veulent tous nous détruire, là, y aura plus que des pistolets ici ! » De toute façon, peut-être qu'il partira quand même d'ici un jour, « parce que c'est la ville la plus sale du 93, c'est triste quand il pleut, on vit même dans la boue ».
Dans le gris oui, mais on vit quand même. Et dans une ambiance plutôt familiale, surtout dehors. Le quartier, c'est un morceau de la maison, comme un jardin. En béton, celui-là. Des ados font des tours sur une petite moto, sans casque. Des pères discutent sur le trottoir. Mohamed, 13 ans, va chercher le pain, les mains dans les poches de son jean, les pieds dans ses baskets rouges, la tête enfouie sous la capuche noire de son pull. Il serre des mains partout sur son chemin, déjà la langue qui claque comme les grands, mais encore une voix et un sourire d'enfant. Il est né à l'hôpital de Montfermeil, d'un père marocain, d'une mère algérienne. Lui aussi a sa petite existence, avec ses habitudes. Il va à la mosquée, surtout le vendredi. Comme ses frères, comme son père, comme la plupart des hommes du quartier. Et puis Mohamed va à l'école, au collège Georges-Brassens. Mais il a des soucis, aussi : « J'aime bien les cours, même si ça sert à rien, parce qu'il n'y a pas de travail pour nous après. » Nous, c'est les jeunes des cités, ceux qui n'ont pas « la même façon de s'habiller ou de parler que ceux qui sont dans les villes ».
Ceux qui grandissent autrement. Dans des appartements plus petits, dont les murs s'effritent beaucoup, pas souvent raccommodés. Qui parlent plusieurs langues, comme l'arabe pour Mohamed. Qui mangent couscous le soir, McDo le midi. Des jeunes qui vivent en groupe au pied des immeubles, sous le regard des mères aux fenêtres. Des enfants de la cité qui voient trop de choses, sans avoir le temps de comprendre. A 5 ans, Mohamed a vu des CRS s'opposer aux grands du quartier. Des coups, des cris, il se souvient. Les contrôles de police, ça lui fera toujours peur : « Je ne comprends pas les policiers. » Il y a deux ans, l'un d'eux lui a dit : « Rentre chez toi, fils de Ben Laden ! » Alors, pour Mohamed, c'est ça sa différence avec les autres adolescents, il est un gamin des banlieues : « On aimerait bien être des Français à part entière, et pas des Français entièrement à part. »
Voilà la fêlure. Une mélancolie diffuse cachée derrière tous les mots d'Ibrahim ou de Mohamed, lisible sur leurs visages, parfois accablés, souvent en colère contre cette réalité. Comme s'ils étaient nés avec pour seul héritage les déceptions de leurs aînés. Obligés de se renfermer, comme un réflexe, pour moins souffrir. C'est John, 29 ans, travailleur social, qui le dit : « Ici, les gamins grandissent dans des univers déprimants. Ils ont vu leurs parents et grands-parents s'accrocher à l'idée de l'intégration, et les entendent aujourd'hui se plaindre du chômage. L'idée d'injustice les habite depuis leur naissance. » Des victimes par filiation, qui héritent des colères de leurs pères, des amertumes de leurs grands frères, une tonne d'échecs, et si peu d'exemple autour d'eux. Ahmed a une trentaine d'années, deux enfants en bas âge. Il a connu la rue, puis la prison. Il raconte : « J'ai grandi ici, il n'y avait rien. »
Aujourd'hui, rien n'a changé. Ni balançoire ni toboggan, juste de l'herbe, des terrains vagues, quelques arbres, de la terre et des cailloux. Alors voilà, c'est tout pareil, aujourd'hui comme avant, on joue avec ce qu'on peut. On trouve une voiture sur un parking, on tire les fils, on la démarre. « Après, j'en ai volé une autre, toujours pour m'amuser. C'est comme ça que tout commence, explique Ahmed. On a besoin de s'inventer des vies. Résultat, à 15 ans, je rentrais chez moi avec un flingue dans ma veste, et je le mettais sous mon oreiller pour dormir. » Et puis les années passent, les interpellations aussi. Jaillit alors l'oppressant besoin de vivre normalement. « Tu fais toutes les ANPE, et là, pas une ne te rappelle parce que t'as un nom d'Arabe et une adresse de voyou. » Alors ça donne, fin des années 1990, un type qui débarque au centre social et braque tout le monde avec une arme à feu en criant « donnez-moi un emploi ! ».
Et les enfants de la cité se débrouillent avec ça, survivent en évacuant la question des lendemains. Et font des bêtises, oui. Ils se regroupent tous les jours, montent juste chez eux pour manger, puis ressortent, se retrouvent aussitôt. Mêmes bonnets, mêmes capuches, mêmes démarches, têtes dans les épaules, ils vont dans la même direction. Sans avancer vraiment. Juste pour fuir les soucis de leurs parents à la maison, pour les supporter ensemble et dehors. Hakim, Rachid, Momo ont 15, 17 et 16 ans. Ils disent : « Ici, nos pères et mères, c'est tous des RMIstes. » Abdel est un de ces parents. Il a 58 ans, il vient d'Algérie. Il a le regard grave, des mots qui débordent quand il dit : « J'élève mes enfants en leur cachant que je n'ai plus aucun espoir pour eux. Mais le drame, c'est qu'ils sentent tout ça. Ils grandissent dans la merde, et souffrent pour nous. » Abdel répète qu'il n'y a pas d'avenir « pour les enfants d'immigrés, ici ».
Hakim, Rachid, Momo évitent de se faire mal, à regarder trop loin devant eux. Leur temps, c'est ici et tout de suite. L'école ? Que de la colère : « Ça pue sa mère ! On a tous fait électro, quand on voulait aller en seconde générale ici. Pas de place pour nous. » Ils sont bien chez eux, s'inventent des vies qui ressemblent à celles des grands, où on trouve des baskets qui ne sont pas « des chaussures de pauvres ». Hakim explique : « Il y a le business, ça nous permet d'avoir des portables, une veste à 60 euros au lieu de 150. Et on est comme tout le monde. » Voilà ce qui compte. S'il n'y avait pas ça, de toute façon, il n'y aurait « rien ». Parce que même le plus petit projet d'activité relève franchement de la mission. Exemple : pour aller voir un film au cinéma, c'est Rosny-II ou Tremblay-en-France, soit une heure de transport, avec d'abord le 601 jusqu'à la gare du Raincy, puis le RER E, et encore le RER D. Et en prime des contrôles policiers sur le parcours. Reste Paris ? Non, pas trop, ils évitent : « Pour nous, la capitale, c'est l'insécurité. Et c'est difficile de supporter le regard des autres, les petites vieilles s'accrochent à leurs sacs à main, et les autres nous traitent de racailles. En France, on a le choix entre ce regard ou rien. »
Ils ont bien compris qu'ils sont les objets d'un débat politique auquel ils ne participent pas. Et où personne ne les représente. Alors ils préfèrent écouter les musclés du verbe, ceux d'entre eux qui ont su arracher la parole en prenant le « mic' » (micro). Comme Rohff, ce rappeur pas « humaniste », plutôt « soldat qui résiste ». Un champion du hardcore, qui chante ça pour eux : « Quand j'repense à hier en voyant aujourd'hui, j'imagine bien demain/ Sur le terrain, ils voudront nous abattre comme du bétail/ On f'ra la guerre dans nos quartiers transformés en champs de bataille. » Ça leur fait du bien, juste parce qu'ils se reconnaissent dans ce désespoir. Ils ont aussi leurs productions locales. Dans le quartier, le groupe s'appelle Bosquets Zoo. Rachid : « Ça veut dire qu'ici, on est enfermé comme dans un zoo. Compris ? » Pas d'étoiles dans leur ciel, aucun moyen de s'en sortir. Alors une seule issue imaginaire, la mort. Ça les fait rire de le dire. Hakim annonce fièrement : « Nous, on va aller au paradis, la vie, c'est de la merde. La fin du monde nous délivrera. »
En attendant ce jour-là, ils restent sur la touche. Même pour faire un stage en entreprise pendant l'année de troisième, « c'est la misère, personne ne veut de nous ». Un peu comme s'ils étaient de la vermine ou de la racaille. Momo avoue que, oui, il est sûrement un voyou puisqu'il a déjà volé une moto. Mais, pardon, c'est lui qui a une question maintenant : « A 16 ans, j'ai droit à une chance ? » Celle de vivre comme tout le monde, par exemple ?

Elsa Vigoureux Nadhéra Beletreche

Sarkozy : "Les Noirs plus violents que les Arabes"

Sarkozy : "Les Noirs plus violents
que les Arabes"


NOUVELOBS.COM | 01.12.05 | 10:40

Le Gri-gri international rapporte des propos prononcés fin novembre, par le ministre de l'Intérieur après trois semaines de violences dans les banlieues françaises.

Nicolas Sarkozy (AP)
Nicolas Sarkozy (AP)
Dans son édition du jeudi 1er décembre, le Gri-Gri international - qui se présente comme un "quinzomadaire satirique françafricain" - révèle des propos prononcés par le ministre de l'Intérieur après trois semaines de violences urbaines en France.
Selon le journal, Nicolas Sarkozy a affirmé "fin novembre, lors d'un déjeuner" que d'après les rapports de ses services, "ce sont curieusement les Noirs plutôt que les Arabes qui sont violents". Plus particulièrement "les Ivoiriens et les congolais", a précisé le ministre, toujours selon le Gri-Gri. Le journal ajoute que selon Nicolas Sarkozy, la violence serait "culturelle" dans ces pays d'Afrique.